J’étais en retenue, cet après-midi. Tout seul, sans Chang Lim puisqu’il a eut le temps de fuir les ennuis à leur arrivée, lui. Vous connaissez la statue sans tête au deuxième étage ? Oui, l’horrible truc en pierre qu’ils feraient mieux d’ôter… je suis sûr que ce truc terni la réputation de l’école et qu’on en parle partout dans le monde, d’ailleurs mon frère est d’accord avec moi. Quoi de plus normal puisqu’on est toujours d’accord l’un avec l’autre, vous me direz, et vous aurez sans doute raison. Bref, ouais, on a fait une connerie avec cette malheureuse statue… on voulait juste la rendre plus attrayante au regard, quoi… juste un p’tit sort de rien du tout… ou peut-être deux… trois ? Je ne sais plus, mais à la fin elle ressemblait drôlement à une piñata décorée avec très mauvais goût, et évidemment, on était très fiers de notre petit méfait de bas étage. Elle sautait à présent aux yeux pour une durée indéterminée -oui, il ne s’agissait là que d’un sort temporaire, pas de quoi en faire un plat, donc- et ça n‘a pas plu du tout au professeur qui nous a chopé en train de commettre cet acte stupide. Ouais, j’avoue, ce que mon frère et moi on fait, c’est toujours stupide, mais quand même, faut pas pousser, j’ai pourtant bien tenté de lui expliquer, au prof, que le sort allait (normalement) s’évaporer d’ici quelques jours et qu’au pire, il ne resterai qu’un peu de rose sur la gargouille, mais ça n’a pas suffit du tout à le convaincre. En plus, je ne suis naturellement pas tombé sur le professeur le plus engageant et comique du lot qu’on nous propose ici. Oui, parce qu’il y en a bien quelques uns qui nous trouvent amusant. J’avoue qu’ils sont très rares, et qu’ils nous surveillent de très près quand même, mais disons juste que nos farces les font sourire et rire. Après tout, le but de tout ça c’est bien ça, que les gens soient un peu plus heureux l’espace d’un instant, même si ça ne dure pas forcément très longtemps. C’est toujours mieux que rien non ?
Bref, du coup je me suis retrouvé tout seul en retenue, le nez presque collé à une feuille en papier pour recopier un nombre encore inconnu de fois "Je ne dois pas changer les monuments intérieurs en sapin de Noël"... sans doute y étais-je encore pour un moment. D'ailleurs, c'était quoi cette phrase pourrie ?! Il ne ressemblait pas à un sapin, mais à une piñata, j'ai dis ! Faudrait veiller à ne pas mélanger les cultures, hein, c'est pas pareil... évidemment, en me regardant, le maître semblait très satisfait de pouvoir me punir. J’étais certain qu’il avait quelque chose après moi, ce sale type, et il m’arrivait même parfois de lui tirer la langue lorsqu’il ne m’observait pas, exactement comme un gamin aurait pu le faire. Je suis enfantin, pas besoin de me le dire, et d’ailleurs ça m’est bien égal de l’être… ça me rend un peu mignon. Parce que c’est vrai que la « cute-attitude » c’est pas trop mon truc… je n’essaie pas de me rendre comme ça, c’est évident que ça ne me servirait à rien du tout.
Lorsqu’enfin le professeur daigna m’adresser la parole, j’eus un sursaut de surprise et renversai la moitié de mon encrier. Avec un juron, j’usai d’un sort commun pour replacer le liquide foncé dans le petit pot de verre, puis levai la tête dans sa direction, un sourcil quelques peu haussé. Que voulait-il encore me reprocher ? Je n’écris pas assez bien, c’est ça ? … Non pas possible, il était déjà beaucoup trop loin pour pouvoir voir… à moins qu’il n’ait une vue particulièrement bien développée, mais vu l’épaisseur de ses lunettes, j’en doutais fort.

« J’ai besoin d’aide pour transporter cette pile de livres jusqu’à la bibliothèque. Vous allez gentiment m’y aider, n’est-ce pas ? »

Son petit sourire satisfait me fit grimacer. Il savait que je n’étais ni en droit, ni en posture de refuser, et c’est avec un profond soupir que je posai ma plume sur le parchemin pour me lever en m’appuyant sur le pupitre, le faisant grincer au passage. Certes, il n’avait pas expressément demandé à ce que je fasse ça tout de suite, mais à mon sens, si il me sollicitait maintenant, c’était que cette tâche n’attendrait pas des lustres. J’avais vu juste, puisqu’une fois arrivé à la hauteur du bureau, il me désigna une pile relativement impressionnante de bouquins sur la magie. J’espérais vraiment qu’après ça, il me laisserait partir et que je pourrai aller faire quelque chose de beaucoup plus intéressant, voir plus amusant. Je la saisis par le dessous, la dressai devant mon visage, puis suivis le professeur qui s’était déjà engouffré dans le couloir à petits pas. Plusieurs fois, je butai contre une dalle du sol qui était mal déposée et manquai de tomber, mais par chance, je me rattrapai toujours avant de tomber. Finalement, il me mena dans une autre banale salle de classe où je pus déposer les ouvrages, achetant par ce geste ma liberté, qu’il me donna d’un léger coup de tête silencieux. Je ne me fis pas prier et me jetai quasiment dehors, comme si j’avais passé les quatre dernières années de ma vie emprisonné. Les heures de retenue, c’est toujours comparable à la mort, pour moi.

Une fois seul dans l’école, mon premier réflexe fût de me diriger vers la salle de bain condamnée. Ca peut paraître totalement farfelu (d’ailleurs, ça l’est), mais j’ai pris cet endroit comme lieu de réflexion quand j’ai besoin de m’isoler un peu. Mine de rien, il me faut pouvoir penser tout seul de temps en temps sinon je pète un câble. L’avantage de cet endroit, ce qu’il est rarement fréquenté, spacieux et en assez bon état, comparé à ce que l’on pourrait croire. En passant par-dessous les planches qui barraient très mal la porte, je fis quelques pas à l’intérieur. Ça sentait la poussière et le savon, un peu comme celui qu’on utilise pour laver les bébés. Curieusement, je me suis toujours sentis à l’aise dans cette pièce, bien que l’ambiance y soit étrange et que le carrelage soit détaché de toute part, rendant les déplacements un peu maladroits. Il n’y avait plus qu’une vieille baignoire propre (depuis que je l’avais lavée pour y faire tremper des ingrédients de potion) dont un peu d’eau s’échappait régulièrement du robinet. Ça faisait « plic ploc » et c’était sans doute ça qui donnait aux lieux un petit côté lugubre que je trouvais amusant. J’ouvris la fenêtre en soupirant, puis me penchai par-dessus son cadre pour regarder en bas en me mettant légèrement sur la pointe des pieds.